Le murmure du silence. Depuis combien de temps n’a t-il point raisonné à tes oreilles ? Tu ne le sais guère. Longtemps. Trop longtemps. Soudain, tu regrettes d’avoir quitté tes pénates et tu te mords la lèvre inférieure en représailles. Le mobilier simple et rustique te manque. Ta machine à écrire aussi. La flamme vacillante d’une bougie mourante était ton meilleur refuge auparavant - aujourd’hui tu plonges la main dans ta sacoche en cuir pour toucher tes crayons et ce calepin miteux que tu traînes partout, quand tu ne joues pas avec ton alliance machinalement. La compagnie simple est pourtant la meilleure, tu le sais. Qu’est-ce que tu fiches donc à t’encanailler de la sorte avec ces gens mal famés ? Mal à l’aise, tu tires sur les manches de ton pauvre pull qui a vu des jours meilleurs, comme en témoignent tes tentatives de raccommodage plus ou moins réussies. Pas que tu sois pauvre. Tu n’aimes simplement pas gaspiller.
« Hé. » Tu ne relèves pas. Le bruit. Du bruit partout. Affligeant. Effrayant. Tu remets tes lunettes sur ton nez d’un geste lent, perdu dans ton monde de couleurs, avant de sursauter. Tu pousserais bien un cri mais ce dernier reste coincé dans ta gorge - alors tu déglutis et ta main vient se poser sur ton coeur qui semble déjà au bord de la rupture. Une main, rugueuse, forte, s’est posée sur ton épaule pour te secouer un peu. Le gars s'adressait bel et bien à toi en fin de compte. « On y va, l’historien. » L’historien. Le scribouillard. Tu en as gagné, des surnoms, depuis que tu t’entêtes à faire la traversée avec eux. L’historien te convient pourtant. Alors tu te lèves. Fébrile, tu manques de te casser la figure. Personne ne te viendra en aide. Ils en sont tous à se demander ce que tu viens foutre là. Tu as refusé de prendre de quoi te défendre - pour quoi faire ? Tu risquerais de te blesser dans le processus voire pire, de tuer un « camarade ». Non. Un poids mort, voilà ce que tu es. S’ils te gardent, c’est uniquement parce que tu leur es utile. Toi. Le transcripteur de charabia. Le déchiffreur de lignes. L’artiste. Ce que tu fiches là, au milieu de tous ces excités rustres ? Simple. Tu leur sers à relier les neurones qui colonisent leurs cerveaux embrouillés. Car là où ils ne comprennent plus l’histoire, toi, tu parviens à retracer les lignes. C’est tout ce qui t’importe. C’est pour ça que tu es là. La seule raison valable pour laquelle tu es parti en expédition - la seule explication au pourquoi un type comme toi accepterait de quitter ses trois pauvres murs. L’exploration du monde à la recherche du pourquoi. C’est ce que tu faisais avant. Avant.

Notre pauvre Heathcliff tousse soudain. Il aspire difficilement, s’étrangle presque, fini par éternuer dans un bruit à réveiller les morts, de quoi s’attirer les mauvais regards. Qu’est-ce que tu y peux si tu es sensible à la poussière ? Et puis, c’est pas comme ci tu risquais grand chose ici. Enfin, ça, tu préfères ne pas y penser. La bâtisse semblait déserte en plein après-midi. Ancienne, à ne pas en douter, mais l’époque te reste sur la langue et tu te frustres tout seul à ne pas parvenir à la dater. C’est idiot tout de même. Il t’a bien fallu cinq minutes avant de parvenir à finalement avancer. Il t‘a fallu des efforts inconsidérables pour ne pas sortir son carnet de suite et te mettre à noircir les pages comme un possédé. Parce que c’est au-delà du beau. Mais ils sont pressés. Ces idiots. Alors, tu as ravalé ton besoin, tes envies. Tes mains tremblent peu, mais tu te concentres surtout là où mettre tes pieds dans tout ce fouilli. Manquerait plus que tu te casses la gueule et que tu t’écorches. Te connaissant, tu serais foutu de te fracturer le poignet et tu n’as pas besoin de ça. Les gars, finalement, se dispersent, excédés. Parfait, tu penses. Tu les laisses à leurs bêtises, tu fermes les yeux à la pensée qu’ils seraient fichus de tout détruire. De tout casser. Ce sont des pilleurs, pas des artistes. Qu’importe. Cette bâtisse, tu en as rêvé. Alors, et avec le plus grand des respects, tu t’enfonces à ton tour dans les dédales. Avant de te figer. Le nez en l’air. Tu prends une nouvelle inspiration - et tu éternues à nouveau mais qu’importe. Au plafond, des peintures magnifiques, et tes yeux se mettent à briller. Couvertes de poussière, tu n’as qu’une envie, caresser le papier pour apercevoir les couleurs. Les styles te paraissent familier et des dizaines de noms viennent soudain affluer dans ton esprit - si vite que tu ne peux les retenir. Voilà. C’est pour cela que tu es venu. L’Histoire se dessine. Sans un mot de plus, tu recules d’un pas, toujours le nez en l’air à t’en faire un torticolis. Lentement, presque avec la ferveur tremblante et moite de ces anciens religieux, tu sors ton calepin. Ton crayon. Et, enfin, tu fais ce pour quoi tu es venu, oubliant l’espace, oubliant le temps, oubliant que cette bâtisse n’est peut-être pas si abandonnée qu’elle n’y paraît et sans penser une seconde que, peut-être, tu es bel et bien en danger.